22 août 2023
Les bonnes expériences dans l’apprentissage ce n’est pas ce qui manque. Mais tout n’est pas rose. En effet, il est possible d’avoir de mauvaises expériences et cela peut devenir de la maltraitance apprenante. Mais qu’est-ce que ça signifie et quelles conséquences cela peut engendrer ? Comment contrer ce genre de situations ? Hélène Perez, notre consultante en neuro-andragogie ( mais c’est quoi la neuroandragogie ? c’est l’étude des neurosciences, des émotions et de la psychologie chez l’adulte en formation😉) en freelance te partage son expertise et son expérience.
« Apprendre implique de remettre en question ce qu’on croyait savoir, de s’ouvrir à de nouvelles idées et à davantage de complexité, et de déployer des efforts sans en connaître forcément l’aboutissement. »
Catherine Meilleur,
Avant de débuter cet article, il me semble important de préciser la définition de la maltraitance :
La maltraitance vise toute personne en situation de vulnérabilité lorsqu’un geste, une parole, une action ou un défaut d’action compromet ou porte atteinte à son développement, à ses droits, à ses besoins fondamentaux ou à sa santé et que cette atteinte intervient dans une relation de confiance, de dépendance, de soin ou d’accompagnement. Les situations de maltraitance peuvent être ponctuelles ou durables, intentionnelles ou non. Leur origine peut être individuelle, collective ou institutionnelle. Les violences et les négligences peuvent revêtir des formes multiples et associées au sein de ces situations.” (loi n° 2022-140 du 7 février 2022)
L’apprentissage est une “modification stable et durable du comportement qui permet à l’étudiant de résoudre des problèmes qu’il n’arrivait pas a solutionner auparavant”. ( source : Bisson, J., Drot, R. & Uhlrich, G. (2020). L’innovation pédagogique en 20 concepts Petit lexique à l’usage des débutants. Centre de Développement et d’Innovation Pédagogique. Université Paris-Saclay.)
Or cette modification, même si nécessaire, est déstabilisante pour l’apprenant. Apprendre déstabilise car c’est prendre des risques, c’est passer par des phases qui fragilisent. Et chacun a sa manière de réagir face à la difficulté d’apprendre : frustration, découragement, ennui, anxiété, peur de l’échec, incompréhension.
Pour passer du stade « inconsciemment incompétent » au stade « inconsciemment compétent », il faut accepter de faire vivre certaines émotions, parfois désagréables qui peuvent mener à des dissonances cognitives (tension interne qui apparaît lorsque nos systèmes de pensées, croyances, émotions… rentrent en contradiction).
Chez l’adulte en formation c’est Mezirow qui a mis en lumière ce processus appelé “Transformative Learning” (apprentissage transformateur), ou comment le processus de formation fait naitre un rapport d’intercompréhension entre soi, les autres et l’environnement. La quête de sens qui pousse l’apprenant à se former s’accompagne d’une forme de désorientation (disorienting dilemma) et de confusion nécessaire entre autres, à la construction de compétences ou d’habiletés. Voici une vidéo pour vous en dire plus : (https://www.youtube.com/watch?v=6DrLYwJHC7k).
Pour créer les conditions d’apprentissage, un contrat didactique se met en place entre l’étudiant et son formateur (ou professeur). Ce contrat indispensable à l’apprentissage régit l’ensemble des comportements que l’enseignant attend de l’étudiant (s’engager dans ses apprentissages, respecter les règles de vie en société et du groupe…) et réciproquement que l’apprenant attend du professeur / formateur (ex : une relation de confiance, d’accompagnement). Ces règles implicites et explicites délimitent le rôle et la responsabilité de chacun au sein de la relation didactique**.**
C’est au sein de ce contrat didactique que se joue une situation de vulnérabilité. En effet, dans cette relation de confiance liée à l’expertise et au rôle du professeur / formateur, l’apprenant attend que ce dernier mette tout en oeuvre pour l’accompagner dans l’expérience déstabilisante qu’est l’apprentissage.
« Apprendre implique de remettre en question ce qu’on croyait savoir, de s’ouvrir à de nouvelles idées et à davantage de complexité, et de déployer des efforts sans en connaître forcément l’aboutissement. »
Catherine Meilleur,
L’importance des émotions dans l’apprentissage
Nier les émotions des étudiants, leurs ressentis, vexer pour faire réagir, humilier ou rabaisser s’appelle de la violence éducative ordinaire. Ne pas mettre en oeuvre tout ce qu’il est possible pour accompagner au mieux nos apprenants, ne pas prendre en compte la désorientation, la confusion, la perte de sens, les remises en question, les inquiétudes, cela s’appelle aussi violence éducative.
Ne pas remettre en question ses pratiques pédagogiques c’est aussi de la violence éducative. Ne pas écouter ce que les apprenants ont à dire de nos méthodes pédagogiques, c’est de la violence éducative. Ne pas adapter nos contenus, outils et méthodes aux différents troubles présents dans le groupe (troubles cognitifs, DYS, handicap…) c’est de la violence éducative.
Nous, formateurs, directeurs pédagogiques, sommes responsables des conditions d’apprentissage dans lesquelles évoluent les apprenants.
Pour rappel, “Les situations de maltraitance peuvent être ponctuelles ou durables, intentionnelles ou non.” De mon point de vue, elles sont intentionnelles quand nous fermons les yeux, quand nous savons mais que nous n’agissons pas comme nous le devrions, quand nous ne nous formons pas aux nouvelles méthodes et pratiques. Quand quelques fois nous perdons malheureusement patience, ou quand nous préférons pointer du doigt une administration.
Pour ma part, tout au long de ma carrière de formatrice et de directrice pédagogique, je suis aussi passée par ces différents états. Nous sommes humains, il est compliqué d’être toujours vigilant, patient, bienveillant, de se remettre constamment en question…
Quel impact une mauvaise expérience apprenante peut-elle avoir sur les apprenants, sur le long terme et le court terme ?
Sur le court terme je pense que cela peut engendrer de la démotivation, du désengagement dans la matière et / ou la formation et une perte de repères. L’apprenant, nous l’avons vu, a des attentes et cherche à ce que la “figure d’autorité” en qui il place sa confiance l’accompagne et le rassure.
À plus long terme, une mauvaise expérience apprenante peut venir créer une perte de confiance chez l’apprenant et remettre en question le paradigme scolaire voire professionnel.
Apprendre c’est se transformer. Et il est nécessaire que cette transformation ait lieu dans un espace bienveillant, dans un environnement d’apprentissage sécurisant qui permet à l’apprenant de révéler son plein potentiel et de se sentir en confiance pour échouer, car se tromper est nécessaire pour apprendre.
De plus, les émotions négatives ne permettent pas d’encoder correctement les apprentissages dans la mémoire à long terme. En état de stress, de colère, ou d’incompréhension nous n’écoutons pas, nous ne sommes pas attentifs à ce que nous devrions être en train d’essayer de comprendre, mais plutôt dans un brouillard d’émotions qui perturbe l’encodage.
La maltraitance apprenante peut aussi conforter l’apprenant dans de fausses croyances. Il peut par exemple se persuader d’être mauvais dans une matière ou un domaine. Cela peut impacter sa vie privée, l’image qu’il a de lui-même. Une mauvaise expérience apprenante peut pousser l’apprenant jusqu’à la dépression voire le suicide dans les cas les plus extrêmes. Tout cela dépend de la figure d’autorité face à nous, de la sensibilité de l’apprenant, du contexte…
Comment peut-on éviter la maltraitance apprenante selon toi ?
En tant que formateur, manager ou enseignant nous devons nous questionner sur notre part de responsabilité dans le parcours d’apprentissage. Il est nécessaire de se remettre constamment en question, de récolter des feedbacks, d’être à l’écoute des apprenants et des équipes pédagogiques, de suivre des formations, d’utiliser des outils de développement personnel (méditation, cohérence cardiaque, travail sur soi). En clair, tout ce qui nous permet d’avoir du recul sur une situation et sur le rôle que nous avons. Sommes-nous dans l’accueil ? Dans l’écoute ? Y a-t-il un espace pour que les apprenants puissent déposer leurs difficultés sans jugement ?
Et toi, tu as déjà vécu des expériences de maltraitance apprenante ? Quel cela a-t-il eu sur toi ?
Oui j’en ai vécu, lors de mon premier cours d’anglais en sixième par exemple, qui m’a énormément marqué ( la preuve, je m’en souviens encore !). Mon professeur m’a dit qu’il n’avait jamais vu une élève aussi nulle, ce qui m’a amené à penser jusqu’à mes 26 ans que l’anglais n’était pas pour moi. Puis quand je suis allée vivre en Australie, je me suis rendu compte que c’était une fausse croyance que j’avais ancrée en moi à cause de cet enseignant.
Puis tout au long de ma vie, lorsque je me suis formée à diverses occasions, j’ai vécu ce dont je parlais plus haut, cet “apprentissage transformateur”. La formation est source de désorientation et de confusion, nous sommes plus fragiles. Cette notion d’introspection qui va de pair avec la formation et/ou l’apprentissage n’est pas toujours prise en compte, alors que nécessaire à l’apprentissage. De l’évaluation, aux examens, à la façon dont sont organisés les cours, jusqu’à la logistique, beaucoup de facteurs peuvent être source de stress, d’inquiétude et d’anxiété. Malheureusement, le plus souvent, les formateurs, professeurs ne réalisent pas que l’environnement d’apprentissage va au-delà des cours et des salles de classes. Et c’est tout cet ensemble qui crée une expérience d’apprentissage.
Lors de mon DU (diplôme universitaire), j’ai passé une soutenance. J’ai présenté un protocole pédagogique dont j’attendais beaucoup, j’ai mis en place un questionnaire, je me suis investie. Je n’ai JAMAIS eu de retour de la part de l’équipe pédagogique. Je n’ai jamais eu de feed-back sur ce que j’aurais pu améliorer, quelles sont les compétences que j’avais acquises ou pas.
Est-ce que cela a joué un rôle dans ton envie de t’intéresser au domaine de la pédago ?
Oui, c’est effectivement ce qui m’a donné envie de travailler dans le domaine de la formation. Il y a énormément de souffrance au travail et j’ai constaté dès mon arrivée en entreprise que ces souffrances suivent le même chemin que les souffrances à l’école. Les managers, formateurs, professeurs ont une autorité qu’ils exercent au sein d’un groupe d’individus. Finalement j’ai retrouvé la souffrance que je vivais à l’école dans le monde du travail.
Il faut permettre à chacun de se rendre compte à quel point il a du potentiel. Le but est de permettre à chacun de se responsabiliser, de l’apprenant au formateur (ou manager). Les apprenants doivent se questionner sur la façon qu’ils ont d’apprendre, de s’investir en formation, leurs attentes, est-ce qu’ils apprennent dans de bonnes conditions, définir les émotions qui les traversent…
En clair pour l’apprenant de se dire : “ C’est moi qui pilote ma voiture. C’est moi qui choisis d’ouvrir la fenêtre ou pas, de mettre la radio ou pas. De prendre l’autoroute ou pas de faire une pause… en fonction de mes besoins”. Mais pour cela il est nécessaire de créer une zone de “capacitance” où chaque apprenant a sa part de responsabilité et est accompagné dans cette auto-régulation.
Former c’est donner une forme ! Il faut donc se demander en tant que formateur : de quoi je donne la forme ? et pour l’apprenant, quelle “forme” je souhaite avoir à la fin de mon parcours de formation. C’est vulgarisé mais la vraie question ici c’est la notion de responsabilité.
En tant que , est-ce que tu as déjà eu à gérer des situations de maltraitance apprenante ?
Même si nous essayons de faire au mieux, cela peut parfois être compliqué. Nous accompagnons des personnes avec différentes sensibilités, différents contextes de vie. C’est certain qu’il est très compliqué de créer un environnement d’apprentissage adapté aux besoins de chaque apprenant, nous ne sommes pas infaillibles. Il faut l’accepter et prendre la mesure des expériences passées pour se remettre en question et faire évoluer notre pratique.
Un jour, une étudiante a exprimé à une personne de l’équipe pédagogique qu’elle avait l’impression de ne rien apprendre en cours. Ses propos auraient pu être interprétés par “elle dit qu’elle n’apprend rien parce qu’elle sait tout”. Au contraire, je trouve qu’il est important qu’elle l’exprime. Finalement, derrière cette impression de ne rien apprendre, il y avait l’inquiétude de ne pas réussir son examen, car pour elle, si elle n’apprend rien elle ne pourrait rien restituer lors de l’épreuve. Elle le vivait comme une vraie souffrance, avec des propos comme “ je suis bête”, “ je suis au mauvais endroit”. À la suite de cela, nous avons mis en place des procédures de travail plus adaptées à ses besoins. Elle s’est sentie rassurée et cela a permis de renforcer le lien entre l’équipe pédagogique et l’étudiante.
Pour approfondir le sujet voici :
https://www.cairn.info/revue-journal-du-droit-des-jeunes-2013-8-page-44.htm
https://www.oveo.org/quand-lecole-est-un-lieu-de-violence-educative/
https://backend.etreprof.fr/files/Gestem/3.1_APPORTS_AXES_TEXTE_VF.pdf
Ilo la rédac du mojo. Si tu as des questions ou si tu souhaites nous faire un retour sur l’article, n’hésite pas à me contacter : ilona@mymoojo.com
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